DÉPÉRISSEMENT DE L’ÉTAT

DÉPÉRISSEMENT DE L’ÉTAT
DÉPÉRISSEMENT DE L’ÉTAT

DÉPÉRISSEMENT DE L’ÉTAT

Jusqu’en 1845, Marx avait développé, en jeune hégélien de gauche, une critique purement philosophique de l’État; L’Idéologie allemande pose les fondements d’une critique théorique, menée au nom du matérialisme historique. L’État est le produit nécessaire d’une société divisée en classes inconciliables: il est le pouvoir organisé de la classe dominante pour maintenir l’exploitation des classes dominées. Il n’a pas toujours existé, notamment pas dans les sociétés primitives sans classes; logiquement, il ne doit plus exister dans la société communiste sans classes. Mais, à la différence des anarchistes et de la plupart des utopistes, Marx et Engels considèrent que la construction de la société socialiste suppose la conquête du pouvoir d’État par la classe ouvrière, la destruction du vieil appareil d’État bourgeois et la construction d’un État prolétarien, transitoire, dont le but est la destruction du vieux système de production (Misère de la philosophie , 1847). Dans le Manifeste de 1848, Marx et Engels considèrent que le socialisme réalise cette tâche: «toute la production étant concentrée dans les mains des individus associés», les antagonismes de classes disparaissent et «le pouvoir public perd son caractère politique». La fin du pouvoir d’État coïncidera avec la réalisation de la société sans classes — «le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses» —, ce qui suppose un prodigieux développement des forces productives; mais, dans la société socialiste, première phase du communisme, l’État subsiste, car, à ce premier stade, correspond seulement le mot d’ordre: «À chacun selon ses capacités», dans la mesure où cette société suppose encore l’inégalité, donc le droit, donc l’État (Critique du programme de Gotha , 1875).

La phase de transition de la société de classes à la société sans classes suppose la dictature du prolétariat (Lettre à Weydermeyer , 1852), c’est-à-dire l’oppression violente par le prolétariat des anciennes classes exploiteuses; cette oppression de l’État est cependant démocratique, car elle correspond à la domination de la majorité sur la minorité. L’expérience de la Commune de Paris (1871) montre à Marx et à Engels que le prolétariat ne peut se contenter de conquérir l’État pour s’en servir; il doit détruire l’État bourgeois pour le remplacer par un nouvel appareil. Les instruments créés par la bourgeoisie (armée permanente, police, magistrature, fonctionnaires) ne peuvent être retournés contre elle, pas plus que les esclaves noirs ne pouvaient espérer retourner contre leurs anciens maîtres les chiens de garde dressés pour les garder. Le peuple en armes, les milices populaires, les fonctionnaires élus, payés à des salaires d’ouvriers et révocables, seront les nouveaux instruments de l’État prolétarien. De même, la démocratie prolétarienne directe (c’est-à-dire des conseils ouvriers organisés à tous les niveaux et concentrant en leurs mains tous les pouvoirs) devra remplacer la démocratie bourgeoise (c’est-à-dire le parlementarisme et la séparation des pouvoirs). Au sein de la pyramide des conseils, les ouvriers garderont un contrôle permanent sur leurs délégués élus et révocables. Un tel État transitoire est le premier pas vers l’accomplissement du processus de dépérissement de l’État, car un tel dépérissement ne peut être que graduel et commence avec la révolution. La destruction de la machine d’État bourgeoise et son remplacement par la démocratie directe ôtent à l’État son aspect le plus aliénant d’«excroissance parasitaire» et de mythe de la volonté générale au-dessus des classes. Pour Engels (Lettre à Bebel , 1875), l’État prolétarien est la forme de passage de l’État au non-État, il est déjà dépérissant; le mot «communauté» lui serait donc mieux adapté.

Lénine, sur la base de l’expérience des soviets de 1917, synthétisera les pages éparses consacrées par Marx et Engels à ce sujet dans L’État et la révolution , 1917. Partant des mêmes bases, il s’attaque vigoureusement à ceux qui remettent la question du dépérissement de l’État à plus tard (Plekhanov, Kautsky) et montre que son but n’est pas différent de celui des anarchistes (destruction de l’État) mais que, pour l’atteindre, il faut un État prolétarien transitoire.

Staline impose une tout autre idée aux partis communistes (il faut noter que Lénine lui-même, dès 1921, face aux ravages de la guerre civile fait passer au second plan de ses préoccupations l’auto-organisation de la classe ouvrière): à partir du fait de «l’encerclement capitaliste» de l’U.R.S.S., Staline avance la thèse du «renforcement continu de la lutte des classes» et par conséquent la nécessité de «l’intensification maximum» de l’autorité de l’État. Les formes du pouvoir sont modifiées, et la réalité en appartient à un parti étroitement centralisé dans les mains d’un secrétaire général tout-puissant; ainsi seront condamnés ceux qui voudront mettre à l’ordre du jour le dépérissement de l’État (Pasukanis).

La condamnation par Khrouchtchev en 1956 au cours du XXe congrès du P.C.U.S. des théories staliniennes conduit, lors du XXIIe congrès, à l’élaboration d’une nouvelle thèse: l’U.R.S.S., État sans classes, est en transition vers le communisme; à l’État de la dictature du prolétariat doit se substituer «l’État du peuple entier». L’État ne peut disparaître qu’avec la réalisation complète du communisme et l’élimination du camp impérialiste. Néanmoins, cet «État du peuple tout entier» est déjà dépérissant dans la mesure où disparaissent ses fonctions de domination de classes. Mais ses autres fonctions se renforcent: le rôle dirigeant du parti est accru; en même temps, l’autogestion sociale se prépare par la démocratisation de l’État et le rôle plus important des organisations sociales. Les Chinois critiqueront cette conception en la comparant à l’État populaire libre des lassalliens.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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